
Le Conseil présidentiel de transition en Haïti a prêté serment le jeudi 25 avril 2024. Aujourd’hui encore, l’on ne cesse de voir défiler des logorrhées mélangeant de la méfiance, des hésitations et du doute quant à l’avenir et à l’efficacité de celui-ci. Si tant est vrai que nous ne puissions ne pas être sceptiques, le comportement le plus idoine à adopter en ce moment consiste à ne pas y aller de main morte et à savoir « raison garder ».
En effet, depuis fort longtemps, l’on assiste à une fuite massive de la population haïtienne qui a pour comble celle, en partie, de nos cerveaux. On fait face aussi à une longue instabilité politique dont les répliques sont fréquentes et interminables. Outre cela, la population reste impuissante face à la violence des gangs et croupit dans la misère la plus atroce. Et, enfin, la démocratie, au sens procédural , s’est tue depuis les élections générales de 2015-2016. Mais, en dépit de tout cela, le peuple Haïtien a toujours su montrer le courage d’habiter le présent et ne s’est jamais laissé sombrer dans la crise de « l’inespoir » ou dans la perte de l’espérance. L’installation du conseil présidentiel de transition est donc une réaffirmation politique de cette audace d’espérer. Si Lawrence Olivier, dans sa philosophie « creuse-passion » fait du « contre l’espoir » une tâche politique, je préfère tenir pour acquis que c’est l’institution du « principe espérance » qui est plutôt une tâche politique, dans la mesure où celle-ci tue l’amer désespoir de vivre. C’est bien la mort de cet « amer désespoir de vivre » que signe le CP, en ayant pour mission d’organiser des élections libres, crédibles et honnêtes, d’organiser des réformes constitutionnelles et de garantir la sécurité sur le territoire national.
D’autre part, l’histoire politique haïtienne porte le sceau de la mésentente et a toujours été traversée par la pomme de la discorde. Nos politiciens n’arrivent souvent pas à s’entendre, si ce n’est, à coup de pulsions de mort, pour détruire le pays. Or, comme l’affirmaient Habermas et Castoriadis, aucune politique ne saurait exister sans le dialogue, le débat public et l’entente. Ou du moins, comme le disait Sophie Wahnich, d’accord ou pas d’accord, il faut, en politique, savoir comment se mettre d’accord. Ainsi, le CP est le signe d’une mise en commun politique haïtienne et la preuve que la politique peut être une ligne de partage où des adversaires peuvent aussi s’asseoir autour d’une même table.
Il s’en faut de beaucoup de croire que ces nouveaux installés peuvent aller « par monts et par vaux » pour promettre des monts et merveilles. Peu s’en faut-il d’être raisonnable de douter de leur avenir ou de leur efficacité. Mais, pour l’instant, tout en ne pas s’abstenant de douter, il faut « savoir raison garder ».

Caleb Mac Bernard DORCE
Philosophe
Spécialiste de la mondialisation et en éthique de la recherche
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